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Il n'est peut-être pas inutile de dire comment ce dialogue a pris naissance. Depuis longtemps, je regardais avec intérêt la critique littéraire que P.-H. Simon donne, chaque semaine, à un grand quotidien. J'avais assisté aussi à sa réception sous la Coupole par Jean Guitton. Mais je ne savais rien de son oeuvre romanesque; quant à l'homme, je le connaissais à peine. Néanmoins, et pour beaucoup de raisons, je me procurais sans retard le livre intitulé Questions aux savants qu'il faisait paraître en 1969. L'ayant lu d'un trait, je me trouvais enclin à approuver presque chaque ligne, la raison se joignant à la sensibilité pour me dicter cette approbation. J'étais donc surpris quand j'apprenais un peu plus tard que des hommes de science, qui se prétendaient spiritualistes, élevaient des réserves. Ce qui m'attristait tout particulièrement, c'est la condescendance avec laquelle certains - surtout des physiciens et des mathématiciens - n'hésitaient pas à traiter ce livre de bonne foi. Je me souviens tout particulièrement d'une soirée, rue Madame, où, à une réunion d'intellectuels catholiques, le « pauvre » littérateur était livré sans pitié aux sarcasmes. Heureusement, voilà qu'un homme, un « étranger », demandait de la salle à prendre la parole. Lui rétablissait les choses. Qui était donc cet avocat ? C'était Jacques Monod, pourtant quelque peu malmené dans Questions aux savants.
Pour ma part, je ne pouvais demeurer longtemps silencieux. Je rencontrai P.-H. Simon. Nous eûmes à parler ensemble dans des amphithéâtres. La dernière fois, si ma mémoire est bonne, ce fut pour commenter, l'un en littéraire, l'autre en biologiste, le grand ouvrage de René Huyghe : Forces et Formes. A chaque rencontre, j'étais frappé par tout ce qu'on trouve chez cet homme de vérité. Enfin venait au jour un nouveau roman de l'académicien : Sagesse du soir. Il y a, dans ce roman, le dessin d'une jeune femme qui a tout ce qu'il faut pour terrifier son grand-père et être adorée par lui. C'était Boune. J'étais séduit par Boune. et l'ensemble du livre. Se cristallisait alors, entre deux êtres, une véritable amitié.
Au même moment, Monique Cadic, directrice des Éditions Beauchesne et également mon amie, qui suivait le progrès de mes relations avec P.-H. Simon, me pressait de donner, dans la remarquable collection Verse et Controverse, un ouvrage qui serait écrit et par lui et par moi. Le projet ne me souriait qu'à demi.
- Non disais-je, le choix n'est pas heureux. Les deux hommes que vous voulez opposer se ressemblent trop pour que puisse naître un débat animé. Sur de nombreux points, ils pensent de même. Dans ces conditions, il ne peut y avoir véritable débat ; or, ce qu'attendent naturellement les amateurs de « face-à-face » ce sont les coups qui portent et, éventuellement, blessent.
Cependant, la vie continuait et, le cours de la vie, nul ne peut le prévoir. A l'automne de 1962, avait été ouvert un concile dont on attendait un grand souffle oecuménique. Nous savons, hélas, à quels autres développements il donnait aussi naissance. Une institution deux fois millénaire entrait en crise. P.-H. Simon et moi-même, catholiques, ne pouvions être que douloureusement frappés par l'événement. En 1970, Jacques Monod, développant le sujet de sa Leçon inaugurale au Collège de France, réaffirmait, cette fois dans un livre, Le Hasard et la nécessité, que le seul étai pour l'homme qui veut forger son destin est la connaissance objective. Aussitôt surgissaient des réactions nombreuses et discordantes. Enfin une autre crise venait s'ajouter à celle de l'Église et, de façon tout à fait inattendue, c'est la science qui en était l'objet. On se mettait à dire, et jusque dans les milieux scientifiques, que la science n'a pas le droit de réclamer, en tous cas, une place prioritaire. La Vérité bien sûr, pouvait-on lire ou entendre, mais faut-il, pour autant, ignorer la Morale et, surtout, la Sagesse ? Quand il s'agit de se connaître et, en fin de compte, de rejoindre le bonheur dont, tous, nous rêvons (même s'il est vrai que le bonheur ne peut exister que dans une vision utopique des choses), faut-il croire que la connaissance objective est la seule valable, que ce que nous apporte le subjectif est sans importance ? Le subjectif ? C'est-à-dire ce qui engendre Part et, au-delà, la métaphysique.
P.-H. Simon s'était donné naguère le droit de poser des Questions aux savants. Je sentais soudain, et fortement, le désir d'aller l'interroger à mon tour sur l'importance de l'art, de la métaphysique. Et je l'interrogerai aussi sur ce qu'il pense du bonheur. De nos jours, on parle volontiers - même Sicco Mansholt ! - de la qualité de la vie. Que pense-t-il, lui-même, de cette qualité ? Certes, je n'avais pas oublié notre communauté fondamentale de pensée. Mais, en tout, il y a des nuances et, notre information de base étant toute différente, il pouvait y avoir véritablement échange d'idées.
Enfin, je voyais clair. Un face-à-face véhément ? Non, bien sûr.